samedi, août 05, 2006

Métro Laurier

"Votre nom?
- Mina
La dame au comptoir des inscriptions prit un air exaspéré, soupira et
répondit :
" Je voulais dire votre nom de famille. Sinon, je vous aurais demandé votre prénom!"
- Ho désolée, Breton, Mina Breton" répondis-je visiblement mal à l'aise.
La dame tapota sur son clavier avant de poursuivre sur le même ton monocorde:
"Vous êtes maintenant enregistrée. Alors, si vous voulez bien prendre le corridor à votre droite. Ce sera la 2ème porte à gauche. Ce sont les coulisses, vous pourrez vous y préparer. Lorsque votre tour viendra, on vous appellera.
- Merci." J'allais partir lorsque la dame m'interpella à nouveau.
- Un instant mademoiselle, j'en n'ai pas fini avec vous. Voici le texte que vous devez présenter.
- Mais, j'ai déjà un texte que j'ai préparé et pratiqué et...
- C'est sur celui-ci que vous serez évaluée, point à la ligne" coupa la dame en me tendant quelques pages brochées.

Voyant que je n'aurais pas le dernier mot, je me retins de faire une crise, pris brusquement le texte des mains de la dame et me dirigeai en fulminant vers les coulisses.

Lorsque je franchis la porte des coulisses, tout me sembla différent. J'avais peine à croire que j'étais réellement là. La somme de plusieurs années d'effort, de travail et de sacrifices allait finalement porter fruit : j'allais enfin avoir l'opportunité de faire une audition pour un véritable rôle. Sous l'effet de l'enthousiasme, je trouvai l'odeur de la poussière enivrante et la noirceur des lieux irradiante. Je touchai même les murs peints en noir pour mieux m'imprégner de l'énergie des lieux.

Une remarque désobligeante, dite presque en hurlant, creva ma bulle et me sorti de ma rêverie. Je présumai que c'était le metteur en scène qui engueulait un candidat :
« Vous n'avez pas le ton, vous n'avez pas le jeu, même pas d'émotion et par-dessus le marché, c'est à peine si vous savez votre texte!! VOUS VENEZ FAIRE QUOI ICI?? Certainement pas passer une audition. Plutôt pour me faire perdre MON temps et celui de tous vos collègues! Maintenant, déguerpissez, que je ne perde pas une seconde de plus! SUIVANT!»

Déjà, j'étais plus que stressée et ce que je venais d'entendre n'avait rien pour m'aider! Heureusement, il n'y avait pas que lui comme juge. Je me dirigeai donc vers l'arrière scène et fit connaissance avec les deux candidats qui me précédaient : un garçon et une fille qui étaient plus préoccupés à apprendre leur texte qu'à faire un brin de causerie. Enfin, je les comprenais bien, avec ce nouveau texte à présenter, il n'y avait pas une minute à perdre. Avant de m'y mettre, je jetai un bref regard entre les rideaux : les trois autres jurés n'avaient pas l'air plus commode. Alors que la femme aux courts cheveux blancs et au veston rouge avait un visage sévère, le jeune intello snobinard assis à sa droite ne cessait de regarder sa montre. Et que dire du dernier juge de ce quatuor : un petit homme aux cheveux noirs et bouclés qui avait un regard si perçant que rien ne semblait lui échapper. "Non, ce ne sera pas facile." pensai-je.

Je me retirai donc dans un coin et allumai une petite lampe sur table. Je sursautai en m'apercevant que tout près, il y avait un autre jeune homme dans la vingtaine, plutôt mignon et vêtu d'habits d'un autre temps, qui semblait aussi attendre son tour. Voyant qu'il m'avait effrayé, il engagea la conversation ainsi : " Désolé, de t'avoir fait peur, ce n'était pas mon intention. Je me présente : Alexandre Dandurand." dit-il avec un sourire.
"Moi, c'est Mina Breton" lui répondis-je. "Tu attends pour l'audition?
- Euh... Non, j'aime simplement me pointer parfois ici lors d'auditions et de voir les futurs talents au travail.
- Moi, je suis là pour l'audition. Et je dois avouer que j'ai la trouille, surtout avec ce nouveau texte à apprendre, je suis un peu désespérée.
- Laisse-moi te donner un coup de main et quelques trucs. J'ai déjà joué dans quelques pièces et, sans vouloir me vanter, je crois que j'étais plutôt bon.
- En ce moment, tout aide serait grandement appréciée, répondis-je déjà un peu moins angoissée.

- Première règle, il faut que tu arrêtes de voir ton jury comme étant supérieur à toi. Tu sais, je connais le jury et je peux t'assurer que le metteur en scène est de cette humeur avec tout le monde. La dame en rouge, elle, se donne un air sévère, mais ce n'est que pour mieux cacher sa timidité et son manque de confiance en elle. Le jeunot est le fils de la dame et il n'avait vraiment pas envie d'être là. D'ailleurs, s'il semble si impatient, c'est qu'il est déjà en retard pour un rendez-vous galant qu'il a donné à une de ses nombreuses copines. Le seul jury dont tu dois capter l'attention est celui avec les cheveux noirs et frisés. C'est sur sa décision que le jury s'accorde habituellement. Deuxième règle, ce n'est pas la facilité que tu auras à retenir le texte et à le présenter qui compte réellement, mais l'énergie et l'émotion que tu y mettras, la prestance que tu auras sur scène. Les jurés veulent voir ce que tu as dans le ventre parce que dans ce métier il faut avoir un coeur solide et un esprit fort. Pas du genre à s'effondrer à la moindre peccadille, au moindre commentaire négatif. Dernière règle d'importance, il ne faut jamais, mais au grand jamais, prendre les critiques sur ton jeu et ta façon d'être sur scène comme des attaques personnelles. C'est ton travail qu'on juge, pas ta personnalité."

C'était les trois règles de base, mais Alexandre me donna plusieurs autres conseils pour contrôler mon stress, apprendre un texte rapidement, bien porter ma voix et me mouvoir sur scène. Je ne pus m'empêcher de m'exclamer : " Tu es tout à fait impressionnant Alexandre. Cela fait des années que j'étudie dans le domaine du théâtre et je n'ai jamais reçu d'aussi bons conseils. Tu sais, tu devrais enseigner." Ce à quoi il répondit d'un air plutôt triste : "Je ne crois pas que ce pourrait être possible...
-Bien sûr que se serait possible. Ce sont des gens comme toi dont les futurs talents ont besoin et ...

Je ne pus terminer ma phrase : le jury m'interpellait. Je remerciai chaleureusement Alexandre pour ses conseils et je me dirigeai vers la scène. Tout juste avant de passer les rideaux, je me retournai pour le voir une dernière fois, mais il avait déjà disparu dans la pénombre.

Sur scène, je sentis le trac me reprendre, mais je mis en pratique ce que mon jeune professeur m'avait montré et je parvins à me contrôler. Le metteur en scène, percevant un peu mon angoisse en profita pour faire une remarque cinglante : "On n'a pas toute la journée mademoiselle. Vous êtes peut-être jolie, mais pas assez pour qu'on vous regarde à rien faire!" Alors que j'allais commencer ma présentation, je remarquai, qu'assis dans la pénombre, Alexandre me regardait. En silence, par sa seule présence, il m'encourageait à faire du mieux que je pouvais.

L'audition se fit sans anicroches. Je pus même lire dans les yeux du jury, une certaine admiration même si pour tout compliment je n'eus droit qu'à un "Suivant!" Encore toute fébrile de ma prestation, je descendis de scène et cherchai à m'asseoir près d'Alexandre, mais encore une fois, il avait disparu. J'allai donc rejoindre les autres attendant que les deux derniers candidats passe leur audition. Une audition qui était sur invitation seulement et à la fin de laquelle les noms des heureux élus seraient donnés. Ce fut dont donc pour moi une attente remplie de tensions.

Avant de donner les rôles, les jurés se rassemblèrent et échangèrent à voix basse leur opinion. Après quelques minutes de caucus, c'est le metteur en scène qui prit la parole : "Tout d'abord, je tiens vous remercier d'être venus ici et d'avoir eu la patience d'attendre la fin des auditions. Voici donc les noms retenus." Il commença tout d'abord avec les rôles de moindre importance pour finir avec les deux rôles principaux. Je n'avais pas encore été nommée. Je croisai les doigts et fixai toute mon attention sur les lèvres et la voix du metteur en scène : "Et pour Candide, épouse d'Hector, le rôle a été attribué à Mina Breton". Mon coeur s'arrêta presque de battre alors que je sentais chaque cellule de mon corps irriguée d'une joie indescriptible. Je faillis sauter de joie et embrasser mon voisin. J'étais si heureuse. Le metteur en scène pria tous ceux qui n'avaient pas été retenus de quitter les lieux alors que les cinq élus devaient participer à une première réunion d'introduction au cours de laquelle l'échéancier nous fut présenté et les textes à apprendre remis. Après quoi, nous étions libres de notre temps. Alors que je ramassai sacs, papier et manteau, je cherchai du regard Alexandre. J'allai même faire un dernier tour dans les coulisses, mais aucune trace de lui. J'aurais tellement voulu lui dire un dernier merci avant de partir et peut-être l'inviter à prendre un café. Le coeur un peu triste je m'apprêtais à sortir de du théâtre lorsque je remarquai une grande toile sur laquelle un jeune homme posait. Je reconnus tout de suite Alexandre. Sous le portrait, était gravée une dédicace qui me fit dresser les cheveux sur la tête et qui se lisait comme suit : "Je dédie ce théâtre à mon défunt fils, Alexandre Dandurand, un comédien de talent. - 1909"